COVID-19 : Tout savoir sur la délivrance de congés en matière de baux d’habitation et de baux commerciaux
Peut-on délivrer un congé au locataire après le 12 mars 2020 afin d’éviter la tacite réduction de son bail ? A quelle date le bail prendra-t-il fin ? Le locataire doit-il quitter les lieux s’il a délivré un congé avant le 12 mars ? En matière de bail commercial, un locataire peut-il donné congé au terme d’une période triennale qui arriverait à échéance après le 12 mars ?
Nous allons essayé d’apporter des réponses à toutes ces questions.
C’est l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 qui va régir la situation des congés en matière de baux.
L’article 5 de l’ordonnance n°3020-306 stipule :
“Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période.”
La période en question est celle se situant entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (EUS + 1 mois) déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020. La loi a fixé au 10 juillet la fin de l’état d’urgence sanitaire.
L’article 5 s’applique donc à l’ensemble des baux qui contiennent une date de reconduction tacite entre le 12 mars et le 10 août 2020).
Examinons dans un premier temps comment appliquer ces dispositions à un bail d’habitation.
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Conséquences de l’ordonnance n°2020-306 en matière de baux d’habitation
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Lors de la délivrance d’un congé par le bailleur
En matière de baux d’habitation, le bailleur qui souhaite reprendre son logement, pour les causes spécifiques précisées à l’article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 (reprise pour vendre, pour occuper, ou pour un motif légitime et sérieux), doit délivrer un congé à son locataire au moins six mois avant l’arrivée du terme du contrat. A défaut d’avoir respecté ce délai de préavis, le contrat de bail est tacitement renouvelé pour une période de trois ans (ou six ans dans l’hypothèse où le bailleur est une personne morale et le congé délivré est nul.
Il s’ensuit que, si le délai laissé au propriétaire pour délivrer un congé à son locataire devait expirer entre le 12 mars et le 10 juillet, le délai sera prolongé de deux mois à l’issue du mois suivant la fin de ladite période (soit jusqu’au 10 septembre).
Par exemple, un contrat de bail d’habitation se terminant le 30 septembre, le bailleur doit en principe adresser son congé avant le 30 mars. Par l’effet de l’article 5 précité, le bailleur aura jusqu’au 10 septembre pour notifier son congé à son locataire.
La question que tout le monde se pose est alors la suivante : ce report dans la délivrance du congé par le bailleur a-t-elle pour conséquence de réduire le délai de préavis prévu à l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 ?
Réponse de la chancellerie : le délai légal de préavis de six mois s’analyse comme un « délai à rebours », c’est-à-dire un délai qui court à compter de la réalisation d’un événement futur, à savoir la prise d’effet du congé, et se calcule en remontant dans le temps, en l’espèce six mois au moins, jusqu’à la date de délivrance du congé par le bailleur au locataire.
En pratique, le délai de préavis de six mois imposé par la loi du 6 juillet 1989 permet au locataire de prendre ses dispositions pour trouver un nouveau logement. Par conséquent, s’agissant d’un délai à rebours, protecteur des droits du locataire, le délai de préavis prévu à l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 ne saurait être raccourci par la mise en application des dispositions de l’article 5 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020.
Un délai de préavis de six mois commencera à la réception de la notification du congé au locataire.
Pour reprendre l’exemple ci dessus, si le locataire reçoit la notification le 20 juillet, il ne pourra reprocher au bailleur une délivrance tardive du congé et bénéficiera d’un délai de six mois pour quitter les lieux (soit jusqu’au 20 janvier 2021). L’effet de la clause de tacite reconduction a donc été repoussé (prorogation tacite du contrat de bail).
2-Délivrance d’un congé par le preneur
En vertu de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, le preneur donner congé en respectant un certain préavis (en principe de trois mois, réduit à un mois dans certaines situations) à tout moment au cours du bail. L’article 5 de l’ordonnance 2020-306 n’a donc pas vocation à intervenir car aucune date butoir n’empêche l’envoi d’une demande de résiliation du bail. Le délai que fait courir ce congé est un délai de prévenance à l’égard du bailleur. C’est ce que confirme également la chancellerie.
Conséquence pour un congé délivré avant le 12 mars : un locataire ne peut donc se prévaloir d’une prorogation du délai de préavis au titre de l’article 5 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, pour prétendre qu’il serait en droit de rester dans les lieux. S’il souhaite resté dans les lieux, il faut l’accord du bailleur et contracter une convention d’occupation précaire (en attendant la fin de l’état d’urgence sanitaire). Cette convention peut prévoir le versement d’une indemnité d’occupation équivalente au loyer antérieur.
Le locataire peut délivrer un congé après le 12 mars 2020 et il prendra effet trois mois après (ou un mois si le délai de préavis est réduit).
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Conséquences de l’ordonnance n°2020-306 en matière de baux commerciaux
En matière de baux commerciaux, les notions de congé et demande de renouvellement n’ont pas le même sens que celles de « résiliation » ou « dénonciation » visées par l’article 5 de l’ordonnance.
On ne peut donc raisonner par analogie au bail d’habitation.
En principe, la date d’expiration du bail commercial n’entraîne pas automatiquement sa fin puisque, dérogeant en cela aux règles de droit commun, le bail commercial ne cesse que par l’effet d’un congé (par le locataire ou par le bailleur avec offre ou non de renouvellement) ou d’une demande en renouvellement du locataire (C. com. art. L 145-9, al. 1). Lorsque le bail initial arrive à sa date contractuelle d’expiration sans qu’aucun congé ou demande de renouvellement n’ait été formulé, le bail se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat (C. com. art. L 145-9, al. 2) jusqu’à ce que l’une des parties y mette un terme par un congé ou une demande de renouvellement. Le bail tacitement prolongé est à durée indéterminée. Il n’y adonc pas de tacite reconduction légale, mais plutôt une tacite prorogation.
L’hypothèse visée par l’article 5 d’une convention « renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé » ne trouve pas à s’appliquer pour les baux commerciaux.
Le statut a simplement prévu la résiliation triennale s’agissant de la faculté pour le preneur de dénoncer le contrat à l’échéance de chaque période triennale (C. com. art. L 145-4, al. 2) ou s’agissant de la faculté pour le bailleur de donner congé à l’expiration d’une période triennale pour effectuer certains travaux sur l’immeuble (C. com. art. L 145-4, al. 3). Dans les baux à destination de bureaux, les baux dont la durée est supérieur à 9 ans et les baux dits monovalents, on peut faire renoncer au preneur cette faculté de résiliation triennale.
On peut donc considérer que ces hypothèses de résiliation triennale (par le preneur ou le bailleur) entrent dans le champ de l’article 5 de l’ordonnance. D’autant que, dans ces hypothèses, une démarche doit bien être accomplie avant une période déterminée : l’expiration d’une période triennale.
Dans cette hypothèse, on raisonnera comme en matière de baux d’habitation : une demande de résiliation triennale qui aurait dû être délivrée au plus tard le 31 mars 2020 (date d’expiration d’une période triennale) pour produire ses effets au 30 septembre suivant pourra encore être délivré au plus tard trois mois après la cessation de la période d’urgence sanitaire. Il faudra alors que le congé fasse expressément référence à l’ordonnance 2020-306. Mais de la même manière, un délai de préavis de six mois courra à compter de la notification du congé qui permettra au bailleur de trouver un locataire ou au locataire de trouver d’autres locaux.
Attention, cette analyse repose sur une note de la chancellerie écrite pour les baux d’habitation et qui ne peut être valablement opposée aux juges qui resteront souverains concernant les décisions qu’ils rendront, et il y aura inévitablement du contentieux en la matière.