Proposition de loi Nogal : vraies ou fausses bonnes idées pour sécuriser les rapports locatifs ?
La proposition de loi du député Mickaël NOGAL a été déposée à l’assemblée National le 4 février 2020. Elle est la suite logique du rapport « Louer en confiance » remis au premier ministre le 18 juin 2019 (lire notre article : Rapport Nogal : les propositions “choc” qui concernent les agents immobiliers, administrateurs et syndic ! )
La proposition de loi a pour objectif de “sécuriser les propriétaires-bailleurs et à faciliter l’accès au logement des locataires“.
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Elle fait bien évidemment suite à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) qui a souhaité créer un cadre dynamique de la mobilisation du foncier pour la construction neuve. L’inflation législative en matière immobilière est ainsi particulièrement prégnant. Les nouvelles lois s’enchaînent alors même que des décrets d’application de la loi ALUR de mars 2014 sont toujours attendus.
Concernant les logements anciens, on sait que les logements vacants sont de plus en plus nombreux (environ 3 millions de logements vacants en France, soit 8% du nombre total de logements contre 6% en 2006). Le logement vacant est celui qui n’est pas occupé à titre de résidence principale, ni secondaire, ni mis en location au profit d’un locataire. Les motifs de cette vacance sont principalement la crainte de se retrouver en situation conflictuelle avec le locataire (impayés, dégradations…) et l’obligation de délivrer un logement décent, c’est-à-dire en bon état de réparation et aux normes actuelles au niveau de l’électricité et du gaz notamment. Le coût des travaux à la charge du bailleur peut être important concernant des logements anciens. Il faut bien noter que 96 % du parc locatif est détenu par des bailleurs privés et 4 % par des investisseurs institutionnels.
Faire revenir sur le marché locatif ces logements est une priorité afin de faire face en zone tendue à la forte demande de logement. Le dispositif fiscal De Normandie en ce qu’il encourage la rénovation d’immeubles anciens en vue de les mettre en location, ou encore le dispositif Cosse (associé aux aides de l’ANHA) qui permet de réduire l’impôt sur les revenus locatifs de logements rénovés et mis en location pour des publics sensibles répondent également à cet objectif. Il est dommage que les pouvoirs publics ne fassent pas autant de “publicité” sur ces dispositifs qu’il n’a communiqué sur les dispositions de la proposition de loi Nogal.
La proposition de loi NOGAL va-t-elle lever les freins à la mise en location des logements privés ?
Il convient d’examiner les trois mesures que contient cette loi afin de répondre à cette question.
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Proposition de loi Nogal – 1ère mesure : obligation de consigner le dépôt de garantie dans une agence immobilière (gestion ou transaction)
Cette mesure vise à rétablir la confiance autour de la restitution du dépôt de garantie (exposé de la proposition de loi). Selon les statistiques du ministère de la Justice, 65 % des actions en justice engagées par les locataires portent sur la non restitution du dépôt de garantie. Par crainte de se voir priver de cette somme à la sortie de la location, les locataires négligent de plus en plus fréquemment de payer le dernier mois de loyer, privant dans les faits les propriétaires de toute garantie.
Pour mettre fin à cette méfiance réciproque, la proposition de loi prévoit que l’ensemble des locataires devront confier aux professionnels de l’immobilier les dépôts de garantie, qui consigneront ces fonds et les restitueront, à la fin du bail, sur la base d’un accord entre locataire et propriétaire.
C’est la mesure la plus controversée et qui a créé une polémique entre la directrice de l’organisme PAP et le député Nogal. En effet, il s’agit d’une “obligation de faire” qui s’impose à tous les locataires, même si le bailleur ne recoure pas à un intermédiaire de l’immobilier pour louer. Recourir à un service obligatoire de “séquestre” auprès d’un prestataire privé est assez inédit, surtout qu’il y a des situations où le bailleur et le locataire n’en ont aucun intérêt (location à un membre de sa famille ou à un ami…).
L’agent immobilier ou le gestionnaire aura-t-il également l’obligation d’accepter cette mission de séquestre ? Devra-t-il remplir également cette nouvelle mission de “service public” et ceci gratuitement ? La réponse semble positive puisque le texte de loi indique que le dépôt de garantie sera “versé directement par le locataire ou par l’intermédiaire d’un tiers à une personne mentionnée aux 1° ou 6° de l’article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, qui procède à la consignation de cette somme.” Cela peut poser une difficulté pour les titulaires de la carte T qui ne dispose pas d’une garantie financière. Seront-ils exonérés de cette obligation ? Il aurait été plus logique de ne viser que les gestionnaires de biens qui disposent tous d’une garantie financière en cas de faillite.
Concernant la “tarification” de ce service, lors de la conférence de presse, le député M.Nogal a précisé qu’il ne s’agissait pas de facturer ce séquestre à la charge du bailleur ou du locataire. Le dépôt serait donc fait à titre gratuit. Ce service va pourtant engendrer une charge de travail pour le gestionnaire ou l’agent immobilier : prise de rendez-vous, consignation sur un compte séquestre (séparé du compte général de l’agence), délivrance d’un reçu, libération des sommes entre les mains du locataire ou du bailleur. En cas de désaccord entre ces derniers, l’agent ou le gestionnaire devra inévitablement étudier l’état des lieux d’entrée et de sortie, examiner les devis de réparations, les provisions pour charges… afin de conseiller au mieux les parties qui l’ont nommé séquestre. Si le locataire ou le bailleur ne saisit pas la justice, les sommes seront alors gardées de nombreuses années par l’agent : devra-t-il les verser à la Caisse de dépôt et consignations ? Tout ceci engendrera un “travail” effectué par le professionnel de l’immobilier qui n’est pas un “officier public” au contraire d’un notaire ou d’un huissier : comment une loi peut-elle imposer une telle charge non rémunérée ? Le professionnel de l’immobilier est-il couvert par son assurance de responsabilité civile au titre de cette mission (la question concerne surtout l’agent immobilier qui n’est pas gestionnaire et pas forcément compétent concernant les litiges liés au dépôt de garantie) ?
Il aurait été préférable de confier cette mission à la Caisse des dépôts et consignations, mais cela devait entraîner un coût pour l’Etat qu’il n’a pas souhaité supporter.
Y aura-t-il une sanction à ne pas consigner ce dépôt de garantie auprès d’un professionnel ? Le professionnel aura-t-il le droit de refuser de prendre cette mission de séquestre ?
Nous pouvons espérer que le décret d’application qui définira les conditions de versement, de consignation et de restitution du dépôt de garantie répondent à toutes ces questions. La mesure entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2021.
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Proposition de loi Nogal-seconde mesure : Limiter le nombre de caution à une seule “personne physique” par contrat de location
La deuxième mesure poursuit l’objectif de mettre fin aux abus dans la sélection des locataires en autorisant le recours à un seul garant et en interdisant le cumul des garanties. Selon l’exposé de la loi, il n’est plus rare de voir des propriétaires demander non pas une mais deux, voire trois ou quatre garants à des locataires, malgré leur solvabilité prouvée par les documents demandés à savoir les bulletins de paie, relevés d’imposition, etc.
Pour mettre fin à ces abus, les propriétaires ne pourront plus demander plus d’un garant personnel à leurs locataires. L’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 : « Sous peine de nullité, le cautionnement d’un contrat de location ne peut être porté par plus d’une personne physique. »
Concernant le contrat de colocation, il convient donc d’exiger dorénavant de la caution qu’elle garantisse les deux colocataires. La mesure n’est donc pas en leur faveur puisque la loi prévoit en principe que la caution n’est plus solidaire du paiement des loyers si le colocataire concerné par la caution donne congé. Ceci peut poser des difficultés pour des parents qui souhaitent le plus souvent se porter caution uniquement pour leur enfant. La personne physique caution devra donc garantir l’ensemble des colocataires sauf s’il est établit plusieurs contrats de location (ce qu’il est possible de faire en cas de colocation mais dangereux puisqu’il faut diviser le loyer).
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Proposition de loi Nogal-3ème mesure : création d’un “contrat de garantie totale” du paiement du loyer, des charges et des frais de dégradations
C’est le retour de la GUL (garantie universelle des loyers) qui est mis à la charge du gestionnaire du biens et non sur celle de l’Etat. Elle devait coûter 400 millions d’euros par an à l’Etat. Cette charge sera en fait supportée indirectement par le bailleur puisque le professionnel de l’immobilier est autorisé à prendre une assurance couvrant cette garantie.
Cette mesure vise à sécuriser les propriétaires contre d’éventuels impayés ou dégradations et faciliter l’accès au logement des locataires. Elle va surement engendrer également un recours plus fréquent aux services des professionnels : deux propriétaires sur trois préfèrent aujourd’hui gérer leur location de particulier à particulier.
Selon l’exposé de la loi, sécuriser totalement les propriétaires c’est également rendre l’investissement locatif plus sûr et plus attractif, au-delà des dispositifs fiscaux existants. C’est par la même encourager le retour sur le marché de logements vacants et non loués par des propriétaires craintifs ou ayant vécu de mauvaises expériences. De plus, cette mesure à pour but également de mettre fin aux phénomènes d’anti-sélection et de discriminations. Néanmoins, c’est le professionnel de l’immobilier qui risque d’être encore plus exigeant sur la solvabilité du locataire puisque c’est lui qui en supportera les risques.
Il est à noter qu’il ne lui sera pas possible d’exiger du locataire une caution, l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 stipulant : “le cautionnement ne peut pas être demandé, à peine de nullité, par un bailleur qui a souscrit une assurance, ou toute autre forme de garantie, garantissant les obligations locatives du locataire“. Le professionnel de l’immobilier ne pourra semble-t-il pas se retourner contre le locataire directement mais pourra avoir recours à un organisme d’assurance contre les pertes qu’ils pourraient subir au titre des activités de garantie contre les éventuels impayés et dégradations
Ce contrat de garantie totale ne sera pas obligatoire : l’agence immobilière sera libre de le proposer. Il s’agit là d’une précision différente ce ce qui avait été annoncé dans le rapport Nogal précité.
Néanmoins, les professionnels vont sans doute dans leur grande majorité le proposer car il s’agit d’une véritable valeur ajoutée aux locataires et aux propriétaires. Selon une étude SeLoger parue en décembre 2019, 70 % des propriétaires qui gèrent de particulier à particulier, seraient prêts à passer par un agent immobilier pour gérer leur location. Il y a donc un marché à prendre, la seule question reste le coût supplémentaire que les professionnels ajouteront à leur barème de frais de gestion. Outre le coût de l’assurance loyer impayé, il y aura une plus grande charge de travail dans la sélection du locataire, le suivie du paiement du loyer et la surveillance des dégradations. Quid du désaccord au moment de quitter les lieux entre un administrateur de biens et le bailleur sur des éventuelles dégradations que l’administrateur qualifierait de simple vétusté ? L’assurance devra-t-elle trancher ? L’avis du bailleur devra-t-il l’emporter, du fait même que le professionnel de l’immobilier ne peut s’en dessaisir sans son accord (voir 1ère mesure).
En conclusion, trois mesures médiatiques qui comportent beaucoup d’interrogations et peu de réponses face aux attentes des différents acteurs. Un bilan sera nécessaire afin de savoir si les logements vacants vont ainsi revenir sur le marché locatif.
Les disposition entreront en vigueur au 1er janvier 2021, la loi devant être adoptée à l’automne. Nul doute que ces trois mesures seront sans doute complétées par de nombreux amendements et de nouvelles mesures, les parlementaires ne pouvant s’empêcher d’alourdir certains textes qui paraissent si simple au départ du débat parlementaire. Affaire à suivre…
Lien vers le texte intégral de la proposition de loi : http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/15/propositions/pion2645/(index)/propositions-loi