Droit de suite de l’agent immobilier et mandat non exclusif : revirement de jurisprudence ?
Qu’est ce que le droit de suite dans un mandat de vente conclu avec un agent immobilier ?
La plupart des contrats d’intermédiation immobilière (mandat de vente) contiennent une clause de droit de suite. Cela concerne le mandat exclusif ou le mandat non exclusif.
Il s’agit d’une disposition qui prévoit que le mandant (vendeur) s’interdit de traiter directement ou indirectement avec un acquéreur qui a été renseigné sur le bien par l’agence, cette interdiction s’appliquant pendant le cours du mandat et pendant une certaine durée après la fin du mandat.
Cette clause est parfaitement valable. Elle protège l’agent immobilier contre certaines manœuvres frauduleuses qui ont pour but l’éluder sa commission. La durée du droit de suite ne peut excéder deux années après la fin du mandat. Elle doit être en caractère apparent dans le mandat (en gras ou en plus gros caractère que l’ensemble du texte du mandat).
Quel est le rôle de la clause pénale dans le mandat de vente ?
Le mandat comprends le plus souvent une clause pénale permettant à l’agent de sanctionner le client qui ne respecterait pas cette interdiction. La clause pénale prévoit qu’à défaut de respecter cette clause, le mandataire aurait droit à une indemnité forfaitaire, à titre de clause pénale, à la charge du mandant, d’un montant égal à celui de la rémunération toutes taxes comprises du mandataire prévue au présent mandat (depuis la loi Alur, le montant de la clause pénale est limité à celui de la commission prévue au contrat).
Le mandat assorti d’une clause pénale doit mentionner que passé un délai de 3 mois, il peut être dénoncé à tout moment par chacune des parties, à charge par celle qui entend y mettre fin d’en aviser l’autre 15 jours au moins à l’avance par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
L’agence fait le plus souvent signer un bon de visite aux éventuels futurs acquéreurs lors de la visite du bien afin de se pré constituer la preuve de cette visite. L’agence doit ensuite adresser sans tarder à leur client-mandant la liste des personnes à qui il a fait visité le bien. Ainsi, la mandant devra refuser d’entrer directement en contact avec une personne qui a visité le bien via l’agence.
Comment les tribunaux appliquent le droit de suite et la clause pénale ?
La jurisprudence fait une application assez sévère des principes décrits ci-dessus :
– Si l’agent oublie de notifier la liste des personnes ayant visité les locaux, le mandant est alors de bonne foi et si la preuve d’une collusion entre les parties à la vente n’est pas rapportée, l’agent n’aura pas droit à indemnisation. Rien n’interdit alors aux acquéreurs d’entrer directement en contact avec les mandants pour leur proposer une nouvelle offre, serait-ce dans le but de payer un prix moindre, notamment du fait de l’absence de commission d’agence (Cass. 1e civ. 6-12-2017 n° 16-15.249 FS-D).
– Lorsque le vendeur a confié des mandats non exclusifs à plusieurs agents immobiliers, seul celui par l’entremise duquel l’opération a été définitivement conclue a droit aux honoraires, même si l’acquéreur a été précédemment présenté au vendeur par un autre agent immobilier (Cass. 1e civ. 16-10-1984 : Bull. civ. I n° 259 ; Cass. 1e civ. 25-11-2010 n° 08-12.432 : Bull. civ. I n° 241, inf. 83, à propos d’un mandat de recherche ; Cass. 1e civ. 15-1-2015 n° 13-25.955 F-D ).
L’agent évincé peut seulement obtenir des dommages-intérêts, s’il prouve la faute du vendeur qui l’aurait privé de la réalisation de la vente (mêmes arrêts) ou la collusion frauduleuse entre le vendeur et l’acquéreur (Cass. 1e civ. 8-4-2010 n° 09-14.597 : Bull. civ. I n° 84, ; Cass. 3e civ. 16-10-2013 n° 12-23.383 ).
Il n’y a pas faute à négocier par l’intermédiaire d’un autre agent immobilier à des conditions différentes. Tel est le cas lorsque le vendeur qui a connu l’acquéreur grâce à une première agence poursuit les négociations avec le même acquéreur par l’entremise d’une seconde agence qui a accepté de baisser sa commission (Cass. 3e civ. 16-10-2013 n° 12-23.383 et 12-24.141). De même, n’est pas fautif le fait, pour l’acquéreur non lié contractuellement à l’agent immobilier par l’intermédiaire duquel il a visité le bien, d’adresser une nouvelle offre d’achat aux vendeurs par l’intermédiaire d’un autre agent immobilier également mandaté par ces derniers (Cass. 1e civ. 6-4-2016 n° 15-14.631 F-PB).
La clause qui interdit au mandant de traiter directement avec un acquéreur présenté par le mandataire ne lui interdit donc pas de traiter, à des conditions différentes, par l’intermédiaire d’une autre agence qui parvient à faire baisser le prix de vente et accepte de diminuer le montant de sa commission.
Ce principe est-il remis en cause par l’arrêt récent de la cour de Cassation du 23 janvier 2019 ?
C’est ce principe établi par plusieurs arrêts qui vient peut-être d’être remis en question, et ceci en faveur de l’agent immobilier qui a présenté le bien en premier.
Voici les faits :
Suivant mandat non exclusif, des vendeurs ont confié la vente à un agent immobilier moyennant le prix net vendeur de 200.000 € et une rémunération égale à 7 % du prix (14 000€). Une clause pénale prévue au mandat stipulait l’interdiction pour les mandants, pendant sa durée et les douze mois suivant sa résiliation, de traiter directement ou par l’intermédiaire d’un autre mandataire avec un acheteur présenté par l’agent immobilier.
Les vendeurs ont également confié la vente de leur bien à une étude notariale.
L’agent immobilier a fait visiter le bien à un acheteur qui a remis une lettre d’intention d’achat pour un prix de 171 500€ hors commission, à laquelle il n’a pas été donné suite. Quelques mois après, par l’intermédiaire de l’office notarial, les vendeurs ont signé avec cet acheteur une promesse de vente pour un prix de 170 000€ net, la commission demandée par le notaire était cette fois-çi à la charge de l’acquéreur et bien inférieure à celle de l’agent immobilier (6450€). L’agent immobilier demande la mise en jeu de la clause pénale, ce que refuse de lui accorder la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence.
Elle a retenu qu’il n’est pas établi que l’une ou l’autre des parties ait commis des manœuvres frauduleuses dans le but de faire échec aux droits de l’agent immobilier.
Elle a ajouté que n’est caractérisée aucune fraude de nature à révéler la volonté des parties d’éluder la commission, ni aucun manquement des vendeurs à leurs engagements contractuels de nature à justifier la mise en œuvre de la clause pénale.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond sur ce point.
En effet, la cour d’appel avait constaté que le mandat stipulait l’interdiction pour les mandants, pendant sa durée et les douze mois suivant sa résiliation, de traiter directement ou par l’intermédiaire d’un autre mandataire avec un acheteur présenté par l’agent immobilier et que la vente avec un acheteur présenté aux vendeurs par l’agent immobilier avait été conclue dans cette période.
Ref : Cour de cassation, 1ère chambre civile, 23 janvier 2019 (pourvoi n° 18-10.549)
Lien vers l’arrêt ici.
Ce qu’il faut retenir : en présence d’un mandat non exclusif, si ce dernier prévoit l’interdiction pour le mandant de traiter par l’intermédiaire d’un autre mandataire avec un acheteur présenté par le premier agent, ce dernier aura le droit d’être indemnisé sans avoir à prouver une faute des parties (volonté d’éluder la commission…) même si les conditions de vente sont différentes. La clause pénale retrouve alors sa pleine efficacité de plein droit.
Cette décision étant différente des précédentes décisions de la Cour de cassation, il convient d’être prudent et attendre un second arrêt confirmatif.
En attendant, il peut être utile à l’agent immobilier de vérifier si son mandat non exclusif comporte bien la mention d’interdiction globale : “interdiction de traiter directement ou par l’intermédiaire d’un autre mandataire”.
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